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Le défi numérique de la culture française

Note : Si vous préférez lire un PDF qu’une page web, j’en ai fait un ici.

Remerciement : Merci Paul de m’avoir conseillé de relire ce rapport du DEPS, c’était effectivement le nœud  Ingoldien du fil de mes pensées.

Photo par Guillaume Bourdages sur Unsplash. Une silhouette apparait au milieu de lumières floutées donnant l'impression d'une pixelisation aux pixels ronds. numérique
Photo par Guillaume Bourdages sur Unsplash

Ce mois-ci, je me suis replongé dans l’excellent rapport du DEPS (Département des études de la prospective et des statistiques du ministère de la culture) qui étudie, tous les dix ans, les pratiques culturelles des français.e.s et leur évolution à travers le temps. D’une enquête couvrant pour cette édition 9200 personnes vivants en France métropolitaine, le DEPS a dégagé des tendances de consommation culturelle : Quelles sont les catégories de personnes qui ne s’informent qu’en regardant la télévision ? Qui sont les gens qui vont aux musées ? Comment le numérique a-t-il influencé la pratique de l’écoute de la musique ? Quelles sont les facteurs qui favorisent un mode de consommation plutôt qu’un autre ? Comment ces facteurs ont-ils évolué en 50 ans ? Etc. L’étude est très riche, au point que son rapport de synthèse fasse plus de 90 pages.

Le présent texte n’a pas pour but de faire une synthèse de ce riche rapport, cet article du Monde la faisant déjà très bien. L’objet est plutôt de se focaliser sur la « culture patrimoniale » et les leviers de développement de ses publics. Quand je parle de « culture patrimoniale », ici, je fais référence au service de l’État porté par le ministère de la culture qui finance des institutions culturelles pour qu’elles diffusent une culture grand public de référence. Cet article fera donc un focus sur les évolutions des catégories de personnes qui déclarent visiter des expositions, afin d’étudier la part de prospects, au sein de la population française, à laquelle peuvent, ont pu, ou pourront, prétendre les lieux d’exposition.

En partant de la fin de l’étude, la définition des « univers » (un univers regroupe toutes les personnes qui ont des pratiques culturelles similaires), on extrapolera l’évolution de la part des français, au sein de toute la population, qui marque un intérêt pour les expositions depuis 50 ans. On essaiera de prédire la valeur de cette part dans 10 ans, en fonction des tendances qu’elle montre actuellement. On définira ensuite des voies d’inflexion possibles des tendances projetées : comment récupérer des parts des univers peu consommateurs d’expositions, pour assurer la diffusion du message institutionnel ?

Nous aurons donc une approche à rebours du rapport initial, se focalisant sur le patrimoine et les visites d’expositions, en vue de dégager des chantiers prioritaires pour la culture dite patrimoniale.

Les univers culturels : qui sont les gens et que font-il ?

Grâce à l’ensemble des données collectées, et aux statistiques réalisées, le DEPS a pu distinguer six univers différents :

  • « Petit écran » : Il correspond aux personnes pour qui la télévision constitue la première source de consommation culturelle et d’information. Il ont très peu des autres pratiques, que ce soit l’écoute de la radio, les sorties au cinéma ou au musée. Cette population dénombre une majorité de 60 ans et plus (56 %). Il s’agit de personnes moins diplômées que la moyenne et de milieux sociaux plus modestes. La population est assez uniformément répartie, que ce soit en milieu urbain ou rural.
  • « Bain audiovisuel » : Il correspond aux gens qui regardent régulièrement la télévision, mais qui écoutent aussi beaucoup la radio, ou des musiques enregistrées. Cette population fait par contre peu de sorties (théâtre, spectacle vivants, musées). Cet univers dénombre une majorité de classes d’âge intermédiaires (74 % ont entre 25 et 59 ans). Il s’agit de populations moins diplômées que la moyenne et de milieux sociaux plus modestes. La population est assez uniformément répartie, que ce soit en milieux urbain ou rural, ou selon les tailles d’agglomération.
  • « Tout numérique » : Ce groupe de personnes est caractérisé par un usage intensif des technologies. Les personnes de ce groupe consomment des vidéos en ligne, consultent les réseaux sociaux et jouent aux jeux vidéo. Il font peu de sorties (cinéma, concerts, musées). Pour cette partie de la population, le numérique vient en concurrence avec les pratiques culturelles plus traditionnelles. Cet univers n’a pas de particularité territoriale. Les membres de cet univers sont en revanche plus masculins et jeunes : 43 % ont moins de 25 ans et 79 % moins de 39 ans.
  • « Culture patrimoniale » : La population de cet univers fait un peu de tout, plus que la moyenne. Ces personnes lisent et fréquentent les cinémas, les théâtres, ainsi que les lieux patrimoniaux. Par contre, elles consomment peu de vidéos en ligne et consultent peu les réseaux sociaux. Cet univers est cependant voué à disparaître car il concerne une tranche d’âge plutôt jeune, et, avec le temps, les personnes s’orientent généralement vers l’un des autres univers. Les génération récentes ( > 1975 ) appartiennent très peu à cet univers. On trouve principalement des femmes, ainsi que des cadres plutôt peu diplômés, vivant aussi bien en milieu urbain que rural.
  • « Éclectisme classique » : les personnes qui composent cet univers lisent beaucoup, vont beaucoup au cinéma, fréquentent intensément les lieux de culture, qu’ils relèvent du spectacle vivant ou du secteur patrimonial. Ce sont des personnes généralement très diplômées, souvent cadres ou professions intermédiaires, les membres de cet univers sont plus fréquents dans les grandes agglomérations, et encore plus typiquement à Paris.
  • « Éclectisme augmenté » : Ces personnes ont les mêmes pratiques que celles de l’éclectisme classique mais avec une consommation élevée de vidéos en ligne, de réseaux sociaux et de jeux vidéo. Évidemment, ces pratiques additionnelles induisent une part de sorties « classiques » (concerts de musique classique, lecture) plus faible que dans l’éclectisme classique, mais qui reste tout de même conséquente. Les personnes qui composent cet univers sont aussi plus jeunes que celles de l’éclectisme classique, mais portent sinon les mêmes traits.

Deux de ces univers présentent la particularité d’être apparus en 2008. Ce sont ceux qui découlent directement de la démocratisation du web, des services en ligne et du big data : le « tout-numérique » et « l’éclectisme augmenté », qui ont, en 10 ans, eu une une croissance spectaculaire (+1400 % et +800 %).

Évolution temporelle des univers et implications pour les lieux d’exposition.

Note : Si vous voulez voir comment je crée mes graphiques et projections, c’est accessible dans mon repo GitHub. Si vous n’êtes pas très à l’aise avec GitHub, j’ai déposé un fichier HTML ici.

Le rapports du DEPS fournit un tableau (fin de p.76) qui permet de tracer les évolutions suivantes des différents univers décrits :

Parmi les six univers définis au chapitre précédent, seuls trois sont « visiteurs d’expositions » : l’univers de la culture patrimoniale, celui de l’éclectisme classique et celui de l’éclectisme augmenté. Les deux premiers tendent à disparaître, et leur décroissance s’est initiée ou accentuée entre 1998 et 2008, soit quand la bulle internet était à son apogée et que le web a entamé sa « plateformisation ». Le troisième univers, l’éclectisme augmenté, est apparu avec ces nouvelles pratiques numériques et émerge donc depuis 2008.

Nous allons, dans la suite de cet article, étudier l’évolution de la part cumulée de ces trois univers, pour estimer l’évolution historique de la part des prospects, parmi la population française, des lieux d’expositions.

En 50 ans, on constate que la part cumulée des prospects des expositions a réduit de 12 point (45 % en 1973, contre 33 % en 2018). Elle a perdu 1/4 de ses membres, avec une décroissance plus forte entre 1998 et 2008.

N.B : Ceci est une estimation positive puisqu’elle ne considère pas, au sein des univers, le taux des personnes qui déclarent fréquenter des expositions. Par exemple, 90 % des personnes de l’éclectisme classique déclare avoir visité une exposition, contre seulement 73 % de l’éclectisme augmenté. La croissance de l’éclectisme augmenté pourrait donc ne pas compenser la décroissance de l’éclectisme classique.

Sur la base de ce modèle simpliste, et en considérant que les tendances entre 2008 et 2018 perdurent pour tous les univers, la part de prospects des lieux d’expositions, dans 10 ans, pourrait encore perdre 3 points (presque 10%). Mais il y a aussi des risques que cette tendance s’aggrave si aucune mesure n’est prise.

Il est donc capital pour les institutions culturelles de se demander : comment inverser cette tendance pour assurer la pérennité des lieux d’exposition ? Car si elles peuvent diversifier leur activités pour développer de nouveaux modes de ressources propres, leur statut reste indissociable d’une forme de fréquentation, soit-elle physique ou virtuelle. Le développement d’une activité touristique pour compenser les pertes de fréquentation française ne serait qu’une compensation financière, puisque la mission de diffusion d’une culture de référence sur le territoire serait, elle, en échec.

Comment développer la part de prospects français des lieux d’exposition ?

Inverser la tendance en se rapprochant des univers éloignés.

Trois univers peuvent être qualifiés d’éloignés : le « petit écran » qui polarise essentiellement des 60 ans et plus, moins diplômés que la moyenne ; le « bain audiovisuel » qui regroupe les tranches d’âge intermédiaires, moins diplômées que la moyenne, et qui utilisent aussi la radio comme la télévision pour s’informer ; le tout-numérique, principalement composé des générations récentes et masculines qui consomment essentiellement l’information issue des plateformes web du moment (réseaux sociaux, vidéos en ligne, etc.).

Comme le montre la première figure de cet article, la décroissance des parts du petit écran s’accentue avec le temps, quand le bain audiovisuel ralentit sa croissance, alors que celle du tout-numérique explose. Il serait donc préférable de prioriser le ciblage des univers éloignés de façon suivante :

  1. tout-numérique
  2. bain audiovisuel
  3. petit écran

Cela garantirait une plus forte croissance des parts de prospects des institutions culturelles, et permettrait de rattacher une population en apparence plus réfractaire aux visites d’expositions. La jeunesse de la cible prioritaire pourrait aussi assurer un cumul générationnel des parts gagnées.

L’atteinte des populations concernées nécessitera cependant de développer la visibilité des institutions culturelles au sein des flux d’information que ces personnes consomment. Le « bain audiovisuel » et le « petit écran » peuvent être touchés par de la promotion télévisuelle, mais le réel levier d’inversion des courbes, dans une société qui s’informatise toujours plus, viendra bel et bien du numérique.

Comment atteindre le « tout-numérique » ?

La révolution numérique a dépossédé certains univers de leurs parts pour les réattribuer principalement à deux univers qu’elle a créés : le tout-numérique et l’éclectisme augmenté. Cette dernière catégorie constitue la population déjà consommatrice de contenus patrimoniaux. Cependant, sa croissance est 1,67 fois plus faible que celle du « tout-numérique ».

Ceci peut-être du à la nature des pratiques régulières des membres de ces populations. La population de l’éclectisme augmentée a des pratique plus actives. Elle lit. Elle sort. La pluralité même de ses pratiques indique qu’elle décide régulièrement de changer d’activité, car elle trouve son compte dans une diversité qu’elle va chercher.

La population du tout numérique, quant à elle, a probablement des pratiques culturelles plus passives, donc plus facile à adopter pour un individu. Ceci favorise la croissance de cet univers à l’échelle de la population. En effet, la « plateformisation » du web s’est accompagnée du développement d’algorithmes de promotion de contenus personnalisés, ceux-là mêmes qui rendent nécessaire de tagger, de liker, de s’abonner, etc. Lorsqu’un individu se crée un compte sur une plateforme web grand public, les contenus qu’il y consomment sont dorénavant, pour la plupart, liés à l’algorithme de promotion de contenu de l’environnement.

« Plus de 70 % du temps passé sur YouTube est dédié au visionnage du contenu recommandé par l’algorithme »

Neal Mohan, Chief Product Officer, Youtube (source)

Ce sont donc ces algorithmes qui permettent aux plateformes grand public de maintenir leurs utilisateurs connectés pour disposer de leur temps d’attention, qu’elles peuvent ensuite vendre à des annonceurs. C’est le même modèle qu’avaient les médias traditionnels (souvenez-vous Patrick Le Lay, en 2004), mais appliqué au web, à de plus gros volumes d’audience, et réalisé par des traitements automatisés et personnalisés. Le tout-numérique est l’univers qui est le plus soumis à cette marchandisation modernisée du temps d’attention, puisque c’est celui qui passe le plus de temps sur les sites concernées.

Tant que ces plateformes grands publics continueront de canaliser la majorité des flux web mondiaux, la culture patrimoniale ne pourra augmenter sa visibilité qu’en comprenant le fonctionnement des algorithmes de promotions concernés, pour en assurer une exploitation qui garantit la diffusion du message institutionnel.

Ainsi, même si je rêve que le service public limite ses publications sur ces sites de géants privés américains, et qu’il développe des outils en accord avec les principes qu’il tente de promouvoir (éco-conception, protection des données à caractère personnel, accessibilité, souveraineté des données patrimoniales, etc.), il ne peut se priver de la visibilité que ces sites offrent, et il doit même s’investir dans un usage réfléchi de ces derniers pour en tirer le meilleur parti possible.

Le problème numérique des institutions.

Sur le marché du service qu’est devenu le monde numérique, l’offre du fournisseur doit s’adapter à la demande du consommateur. Cette contrainte capitaliste s’applique dorénavant concrètement au secteur culturel qui doit s’appuyer sur les plateformes sociales grand public privées pour se rendre visible.

Le rapport intermédiaire « Décarbonons la culture », publié en Mai 2021 par le Shift Project, donne la répartition suivante pour 100 Go de données consommés en ligne :

Si on ôte la part pornographique pour éviter tout débat qui nous éloignerait du sujet, on se retrouve avec 49.5 % du trafic web dédié à la consommation de contenus culturels. La demande est donc colossale.

Or, si on étudie la part que fournissent actuellement les institutions culturelles, elle est très réduite. Pour exemple, vous trouverez sur le graphique ci-après le rapport entre le nombre de vues des tops vidéos postées par des institutions culturelles sur YouTube en 2020 Vs. Celles postées par les médias Vs. Celles postées par des YouTubeurs et Youtubeuses sur la même période :

Note : Si vous souhaitez lire mon analyse complète, elle est disponible dans le repo GitHub. Si vous n’êtes pas très à l’aise avec GitHub, j’ai mis un fichier HTML ici.

Le contenu institutionnel est écrasé par celui des autres sources d’information culturelles. Il apparaît donc décisif que le milieu de la culture patrimoniale parvienne à augmenter sa visibilité sur les réseaux grands publics, s’il veut pouvoir un jour atteindre des populations qui lui sont éloignées.

Cette évolution nécessaire imposera de relever deux défis d’ici dix ans.

Les défis de la culture patrimoniale française

Ne pas céder à l’élitisme culturel

La production de contenus souhaités populaires sur les réseaux sociaux passe parfois pour un rabaissement de la culture patrimoniale. La frontière entre la quête de popularité et le racolage est parfois ténue. Or, la pratique est nécessaire à une diffusion large du message, qui doit être abordée comme un acte de médiation : il n’est pas question de nuire à la collection ou à la qualité scientifique des expositions organisées par les institutions, mais seulement d’avoir une communication adaptée à des espaces de médiation spécifiques numériques.

Par ailleurs, la massification inhérente aux environnements numériques produit de belles choses. C’est notamment cette dernière qui a permis d’effacer les inégalités d’avant, relatives à l’écoute de musiques enregistrées par exemple. Cette pratique, avant réservée aux urbains privilégiés, comme le sont aujourd’hui les expositions, n’a plus maintenant de spécificité sociale ou territoriale. La massification numérique permet de populariser des pratiques en les rendant accessibles à tous. Elle estompe les inégalités sociales et territoriales.

Et c’est bien cet objectif qu’il serait bon de poursuivre pour les institutions culturelles, au risque de devoir un jour faire le deuil des publics nationaux, si ce n’est de cette petite partie qui serait vue par certains comme une élite éclectique.

Quelques pistes pour relever ce défi seraient :

  1. Considérer les influenceurs et autres professionnels des plateformes sociales comme des médias à part entière. Leur communauté constitue une audience spécifique très large. L’industrie de la mode s’associe d’ailleurs déjà beaucoup à eux pour faire du placement produit. Les musées (certains le font déjà) peuvent aussi en bénéficier.
  2. Certaines FRAC ou certains musées utilisent les fonctions de posts sponsorisés sur les réseaux. C’est un moyen efficace de gagner en visibilité, à condition de bien définir ses cibles et de promouvoir des contenus adaptés.
  3. Identifier les manières de faire, communes aux institutions populaires sur les réseaux sociaux, pour formaliser des « recueils de bonnes pratiques » qui pourraient être diffusés aux autres institutions. Ceci permettra qu’elles puissent toutes mettre en place des stratégies de communication efficaces, sans nécessairement disposer d’une équipe d’experts dédiée. C’est ainsi qu’on crée des modèles empiriques (type ITIL).

Rattraper le manque de culture informatique.

Pour bien utiliser une plateforme web, il faut comprendre comment elle fonctionne. Or, en France, même si on tente de compenser notre retard ces dernières années, on a un problème de culture informatique/numérique (on pourra débattre des termes, un jour), donc un problème de compréhension, par tous et toutes, de ces environnements numériques.

Il faut savoir que le CAPES, le diplôme qui certifie les enseignants de collège-lycée (donc pour les élèves de plus de 10 ans), dédié aux « numérique et sciences informatiques » n’existe en France que depuis 2019. En Angleterre, depuis 2013, les enfants de 4 à 12 ans bénéficient, dans le tronc commun, d’un enseignement informatique. La BBC propose même des activités en ligne, ludiques et pédagogiques, pour venir en complément du système éducatif anglais. L’enjeu la-bas est donc si fort, qu’acteurs privés et publics se coordonnent pour former les élèves « de niveau école primaire ».

Note : Si vous voulez un état des lieux complet de la culture informatique française, écoutez l’ultime cours de Gérard Berry au Collège de France : « où va l’informatique ? ». C’est passionnant et parfois douloureux.

Ainsi donc, ce problème culturel affecte dorénavant le secteur même de la culture. On a laissé aux informaticiens français le soin de comprendre l’informatique en France, et aujourd’hui, le monde qui nous entoure repose principalement sur cette compétence. Par exemple, pour capter la valeur d’un secteur de marché, il est aujourd’hui préférable de savoir traiter les informations qui y affèrent, plutôt que de posséder la matière nécessaire à livrer le service. C’est pour ça que Airbnb parvient à capter la valeur de l’hôtellerie, sans posséder la pierre, et qu’Uber capte celle du transport, sans même être propriétaire des voitures.

L’impact direct pour les institutions françaises est le suivant : l’informatique n’est généralement pas leur cœur de métier, et elle n’a donc pas forcément bénéficié d’investissements suffisants ou d’une attention appropriée. L’état de leur stratégie numérique fut fonction de la sensibilité personnelle de leurs dirigeants successifs, qui n’ont pas pu bénéficier d’une formation de base en informatique. Avant 2019, l’éducation informatique était incluse seulement dans des parcours éducatifs spécialisés, comme les lycées techniques, ou les écoles d’ingénieurs, qui furent rarement des jalons du parcours éducatifs des dirigeants d’institutions. Le travail de médiation nécessaire pour partager les enjeux numériques au sein des institutions repose aujourd’hui sur les services informatiques de ces dernières, qui doivent compenser une carence passée de l’Éducation Nationale, pour tenter de partager les risques ou les opportunités liés aux cyber-espaces. Ceci explique la disparité des pratiques numériques institutionnelles. Certaines s’en sortent très bien, comme l’INA, très visible sur les réseaux, et qui dispose même de sa propre plateforme de streaming. D’autres, qui n’ont pas forcément perçue l’importance de tout ça, ont plus de mal à développer leur activité apparente sur le web.

Ces inégalités doivent donc être résorbées pour assurer que les institutions culturelles, dans leur ensemble, puissent partager le message qui a justifié leur création. Le Centre Pompidou est né pour ouvrir la conscience de ses visiteurs à l’art moderne et contemporain, la Cité des sciences, elle, sensibilise le grand public aux enjeux scientifiques, d’autres sont spécialisées dans l’archéologie, l’architecture, la mode, le design, etc. Quel que soit le domaine de la culture qu’elles adressent, les institutions doivent être en mesure d’en faire la promotion sur Internet, en exploitant les pratiques propres aux plateformes de communication qui touchent actuellement le public le plus large, et potentiellement le plus éloigné.

Pour ce faire, quelques pistes d’amélioration peuvent être dégagées :

  1. Idéalement, il faudrait disposer d’un partenaire innovation et technologies, dédiés aux organismes de la culture patrimoniale, qui puisse être en mesure de les accompagner et de les conseiller dans la numérisation de leurs métiers. C’est l’objet du projet que je vous dévoile doucement.
  2. Comme pour le défi précédent, des « bonnes pratiques », des recommandations de méthodes et d’outils, transverses aux institutions culturelles, pourraient compenser le manque d’une culture informatique. Il est d’ailleurs à noter que, dans la dernière version d’ITIL, les processus ne s’appellent plus des « processus », mais des « pratiques ». Leurs mise en œuvre dans un organisme, comme une entreprise, les transforme en « pratiques formelles d’une entreprise », c’est-à-dire son « mode de travail » (« ici, on travaille ainsi »), qu’on pourrait finalement qualifier de « culture d’entreprise ». La culture est partout, et son véhicule est un message adapté à son audience et à son support.

Conclusion.

Si l’émergence d’une nouvelle catégorie de consommateurs de culture patrimoniale, l’éclectisme augmenté, qui allie pratiques classiques et numériques, pourrait assurer un renouvellement générationnel des publics des institutions culturelles, elle ne pourrait suffire à compenser la perte des prospects des lieux d’expositions qui s’affirme depuis 50 ans. Il est nécessaire que la culture patrimoniale parte à la conquête de ses publics éloignés en privilégiant le ciblage de la population de l’univers dit « tout-numérique ». Ce dernier a la plus forte croissance et sa population est la plus éloignée.

L’atteinte de cette catégorie de consommateurs passera par le développement de la visibilité du message institutionnel sur les plateformes web privées existantes, car elles centralisent actuellement la majorité du trafic internet.

Les pratiques de communication numériques des institutions sont aujourd’hui très inégales, ce qui s’explique notamment par le manque de culture informatique grand public en France. Le développement d’un organe de conseil en pratiques communicationnelles numériques, transverses aux institutions, pourrait permettre de combler cette carence à court-terme. Mais l’inversion de la tendance à la désaffection des lieux d’expositions en France, à long-terme, repose finalement sur le développement d’une culture informatique française. A moyen-terme, elle passera par la formation des cadres dirigeants des institutions publics. Car leur âge actuel, croisé avec l’histoire de l’institutionnalisation des sciences de l’information, induit qu’il n’ont pas pu bénéficier d’une éducation informatique de base.

Le système éducatif mis en place récemment pourrait assurer que le renouvellement générationnel des employés du service public s’accompagne d’une meilleure compréhension globale des enjeux numériques. Cependant, il est capital que la population active actuelle puisse disposer de ce complément d’éducation qu’apportent justement les centres culturels. Ainsi serait-il opportun qu’une institution, dédiée au développement de cette « culture informatique grand public », proposant des ateliers pour enfants, pour adultes, des conférences, ou toute autre forme de médiation qui permettrait de sensibiliser les travailleurs d’aujourd’hui aux enjeux numériques du moment, voit le jour. Ce nouvel acteur pourrait notamment se positionner en partenaire innovation pour le secteur culturel, puisque la médiation numérique serait son expertise. Ce « centre culturel informatique » permettrait de compenser l’absence d’éducation numérique des actifs d’aujourd’hui, le temps que les générations de collégiens qui suivent le tronc commun « numérique et sciences informatiques » puissent devenir la nouvelle force de travail française.

C’est ça, le projet que je propose.

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