Si je vous donnais mon avis, je passerais pour un donneur de leçons, donc je vais plutôt vous donner celui d’autres, d’autorités. Comme ça vous ne serez pas frustrés par l’absence de champs « commentaire » qui vous permettraient de répandre votre venin de vipère.
Pourquoi lire, par Henry David Thoreau.
« Nous sommes d’éducations inférieures, de basses conditions, illettrés ; sous ce rapport j’avoue ne pas faire grande différence entre l’ignorance de ceux de mes concitoyens qui ne savent pas lire du tout, et l’ignorance de celui qui n’a appris à lire que ce qui est pour enfants et petits entendements. Nous devrions valoir les grands hommes de l’Antiquité, quand ce ne serait qu’en commençant par savoir ce qu’ils valaient. Nous ne sommes qu’une race de marmousets et ne nous élevons guère plus haut en nos vols intellectuels que les colonnes du journal quotidien.
Ce ne sont pas tous les livres qui sont aussi bornés que leurs lecteurs.
Il existe probablement des paroles adressées précisément à notre condition qui, si nous pouvions vraiment les entendre et comprendre, seraient plus salutaires à nos existences que le matin ou le printemps, peut-être nous ferait voir la face des choses sous un nouvel aspect. (*)
[…]
Les choses à présent inexprimables, il se peut que nous les trouvions quelque part exprimées. Ces mêmes questions qui nous troublent, embarassent et confondent, se sont en leur temps présentées à l’esprit de tous les sages; »
En gros, tu n’es pas aussi unique que tu le crois et d’autres ont connu ou connaissent ta tourmente. Certains évènements peuvent échapper à la dichotomie « tchatcheur ou merguez » de Julien des Marseillais. Tu les trouveras dans les bouquins, ceux où des sages dévoilent les zones d’ombres qui peuplent l’interstice entre le succès du beau-parleur et l’échec de la « guez-mer ».
« De toute façon, tout lecteur qui relit une œuvre qu’il aime sait que les pages aimées le concerne » – Gaston Bachelard.
Pourquoi réécrire, par Walter Benjamin
« La force d’une route de campagne est tout autre selon que l’on y chemine à pied ou qu’on la survole en aéroplane. Ainsi diffère également la force d’un texte si on le lit ou si on le copie. L’aviateur voit seulement comment la route se propulse à travers le paysage, elle se déroule sous ses yeux suivant les mêmes lois que le terrain qui l’entoure. Seul celui qui chemine sur la route prend la mesure de son emprise et réalise comment ce terrain qui pour l’aviateur n’est précisément qu’une plaine déroulée, elle fait surgir, sur ordre, des lointains, des belvédères, des clairières, des perspectives à chacun de ses tournants, tel l’appel d’un commandant fait sortir les soldats du rang. Ainsi, seul le texte copié commande l’âme de celui qui en est occupé, tandis que le simple lecteur n’apprend jamais à connaître les nouveaux aspects de son intériorité, comme les ouvre le texte, cette route à travers la forêt vierge intérieure s’épaississant toujours et encore : parce que le lecteur obéit au mouvement de son moi dans le libre domaine aérien de la rêverie, tandis que celui qui recopie l’expose à être commandé. Ainsi, la copie des livres en Chine fut la garantie incomparable d’une culture littéraire et une clef des énigmes de ce pays. »
En bref, réécrire un truc te permet d’y penser plus doucement. Engageant ton corps dans le trait, ton cerveau se contracte pour libérer des colombins de sens et de nouvelles interprétations, dictés par un texte que tu avais pourtant survolé. Quant aux énigmes de la Chine, l’urgence serait aujourd’hui plutôt médicale que littéraire.
Conclusion.
Tu l’auras compris, nous nous sommes rapprochés. J’ai tu le vouvoiement. Tu sais maintenant que je recopie certains passages des livres que je lis. Nous sommes presque amis. Et si tu es seul, tu peux parcourir mes articles pour savoir que tu ne l’es pas tant. Épatant. Si tu avais pu laisser un commentaire, j’aurais été honoré que ce soit mon texte retapé. Permets moi d’en rêver.
(*) J’ai failli le réécrire, j’te jure ! Le paragraphe a cette forme {1,2,3,4;} mais se lit plus facilement {1,3, et 2,4;}