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« L’intelligence des musées a-t-elle un prix ? »

Cet article est une synthèse de la soirée-débat organisée par l’ICOM le 3 Juin 2021, dont l’article porte le titre. Vous pouvez retrouver l’intégralité de cette soirée sur YouTube (ici). Les titres des sections ou les phrases précédées de [N-MBR] sont des apports personnels qui facilitent mon exploitation de ces informations.

Print de 1688 issu des collections du Rijksmuseum : omeinse munten steunend op een hoop stenen, Jan Claesz ten Hoorn
Romeinse munten steunend op een hoop stenen, Jan Claesz ten Hoorn, 1688 (RijksMuseum)

Qu’est-ce que l’ingénierie culturelle et que peut-elle apporter ?

Claude Mollard, Institut du Monde Arabe.

Claude Mollard, père du terme « d’ingénierie culturelle », la définit comme la capacité à apporter des solutions optimales en terme de qualité–coût–délai aux demandes exprimées par les partenaires de la vie culturelle, qu’ils soient privés, publics, nationaux, régionaux, etc.

Ces solutions peuvent porter tant sur les équipements culturels (« comment concevoir et réaliser un musée ? ») que sur la réalisation d’événements culturels organisés par lesdits équipements.

L’ingénierie culturelle permet entre autres d’accompagner les institutions dans :

  1. la définition des objectifs du projets, ce qu’on appelle « l’étude de définition »
  2. la planification et la mise en œuvre du programme associé à la réalisation de ces objectifs
  3. la mobilisation de financements pour permettre le développement du projet
  4. la réalisation artistique et technique du projet culturel

Si les musées étaient avant les objets de l’ingénierie culturelle – qu’on accusait généralement d’introduire le commerce dans le musées, ou de chosifier l’œuvre d’art – , certains deviennent dorénavant sujets.

Par exemple, l’Institut du Monde Arabe (IMA) a profité de la crise sanitaire pour repenser sa stratégie, les valeurs qu’il doit promouvoir et les pôles d’excellence qui lui permettent de le faire.

C’est ainsi qu’est né l’idée d’une plateforme horizontale appelée IMAgo qui permettrait de proposer des prestations d’accompagnement en projets culturels, ainsi que des formations professionnelles, à l’instar du format de l’EcolePro du Centre Pompidou.

C’est aussi IMAgo qui accélérera le développement de l’itinérance des expositions, poursuivant des objectifs sociaux, économiques et culturels pour les lieux de destination, et permettant, de façon secondaire, la création de nouvelles entrées de ressources propres.

Par ailleurs, au-delà de tisser des liens plus étroits avec une extériorité, IMAgo est pensée comme un nouvel organe de gouvernance transverse aplanie, où le management projet doit être mis en pratique. Ainsi, tous les agents de l’IMA peuvent être amenés à prendre part à un projet d’IMAgo, valorisant leur savoir-faire dans le cadre de projets innovants. Les agents développent ainsi leur connaissance des milieux professionnels et des marchés de leurs clients. Ce sont des expériences professionnalisantes qui permettent l’actualisation des compétences internes par la découverte de nouveaux environnements aux cultures distinctes, et c’est dans cet échange, dans ce dialogue, que se développent les cultures.

« L’ingénierie culturelle, pratiquée en interne, est un accélérateur de compétences. »

Claude Mollard

Les enjeux économiques de la culture.

Jean-Hervé Lorenzi, Cercle des économistes

« En 2018, le poids économique direct de la culture, c’est-à-dire la valeur ajoutée de l’ensemble des branches culturelles – agences de publicité, arts visuels, architecture, audiovisuel, enseignement culturel, livre et presse, patrimoine et spectacle vivant –, est de 47 milliards d’euros. La part de la culture dans l’ensemble de l’économie s’établit ainsi à près de 2,3%, soit un poids stable pour la sixième année consécutive. »

Ministère de la Culture

Selon une étude INSEE, 4/5 des produits culturels sont marchands. Nous sommes donc bien sur un secteur soumis aux règles de l’offre et de la demande, où seuls 1/5 des produits culturels échappe à la valorisation économique. Il est donc important de comprendre les dynamiques de fonctionnement de ces environnements pour savoir comment en jouer à notre avantage. Car, si la culture est un bien public, elle s’inscrit aussi inévitablement dans un univers mercantile.

Dans le contexte actuel, et afin de compenser les pertes d’activité induites par la crise sanitaire, l’Union Européenne a investi 11 Milliards d’euros pour venir en aide au secteur culturel et compenser l’absence de fréquentation liée à la fermeture des lieux de culture. Cependant, seuls 2 milliards ont été alloués pour le plan de relance, en première version. Ce qui est insuffisant. Une deuxième version du plan de relance doit être proposée à l’automne 2021. Il est capital que le secteur culturel se mobilise pour faire en sorte d’augmenter ce montant, simplement parce que le développement culturel sera décisif pour concevoir et réaliser la transformation nécessaire des modes de vie de nos sociétés de la modernité tardive.

Ce prochain plan de relance devra porter sur la technologie, la formation et la culture.

La culture est un secteur en phase de développement constant partout dans le monde. En France, nous avons un savoir-faire unique et reconnu. C’est un espoir pour l’avenir de notre société.

La Covid a accéléré certaines mécaniques. La technologie s’est largement développée sans parvenir à accélérer les gains de productivité. On sait que la croissance à venir ne va pas être exceptionnelle et l’âge moyen de la population s’accroît. Les équilibres sociaux dans lesquels nous vivons sont hautement inégalitaires et cela ne durera pas éternellement. La société va devoir se transformer.

Il faut donc, dans l’année qui vient, arracher les moyens qui nous permettront de maintenir notre excellence culturelle, car cette dernière sera décisive pour notre reconstruction.

Complément de Claude Mollard

Roosevelt, au moment de la grande crise des années 30, a entrepris de gros travaux publics, mais a aussi financé les théâtres et les orchestres. C’est ainsi que l’école d’art américaine a connu sa grandeur post-crise.

Joe Biden lui-même est en train de préparer un programme de relance culturelle. Or, en France, les sphères de l’État semblent plutôt éloignées de ces enjeux.

C’est en investissant dans l’enseignement ou auprès des artistes qu’on va développer la culture.

Le Louvre Abu Dhabi, exemple de projet phare de l’ingénierie culturelle française.

Hervé Barbaret, France-Muséums

France-Muséums est une agence privée née d’une volonté d’exporter le savoir-faire culturel français. Le Louvre Abu Dhabi est le projet majeur qui a donné naissance à l’agence, devenue vecteur d’acceptation de la discipline d’ingénierie culturelle.

Ce projet est né d’une volonté des émirats qui choisirent la France pour les accompagner à monter ce musée universel. Il a donc fallu ré-imaginer ce que peut être un « musée universel » dans cette partie du monde, au 21ème siècle. La réflexion des musées induite par la stratégie et la conception de ce projet leur a aussi permis de redéfinir leurs pratiques nationales, et comment ils peuvent eux-mêmes promouvoir l’universalité. Ce projet a nécessité la mobilisation des musées et de leur œuvres autour d’un propos fondamental, et pourtant fondamentalement nouveau.

L’agence constitue une structure dédiée, spécifique au secteur culturel, commune aux musées, dont les équipes doivent animer et fédérer le propos. Elle a pour mission d’élargir et de valoriser l’expertise muséale et patrimoniale française, depuis 2008.

Elle a dû d’abord faire face à une logique de protection, mue par un réflexe conditionné répondant au principe « la chose culturelle n’est pas marchande ». Mais le fait de disposer d’une structure en avant garde a permis aux musées de se protéger. Rapidement, la polémique s’est tue, car on s’est aperçu que l’intelligence regroupée par ces musées était extraordinaire.

Les musées sont des systèmes complexes qui doivent raconter une histoire, en s’appuyant sur des collections dont on peut avoir une lecture scientifique et historique. Mais tout musée doit s’assurer qu’il a un public, qu’il faut identifier, attirer et aller chercher. C’est le rôle de la médiation, qui est une question extrêmement vaste, nécessitant souvent des solutions technologiques ou organisationnelles innovantes. Il faut aussi considérer des sujets de bâtiment et de sûreté, de financement ou encore de comptabilité. Il faut porter sa réflexion sur la relation de ce système muséal avec le spectacle vivant, et la création artistique plus largement. Lorsqu’on réfléchit un musée, il faut mobiliser beaucoup d’expertises et de compétences, et c’est pour ça que l’accompagnement en coordination des donneurs d’ordre est fondamental.

Les échecs muséographiques sont souvent issus de la pauvreté de la programmation ou des méthodologies associées, deux domaines que l’ingénierie culturelle peut aider à clarifier.

L’enjeu économique de ces projets est toujours difficile à établir. Ils ont une vocation culturelle, sociale, et relèvent du bien public. Mais la promotion de ces valeurs a un prix et nécessite donc de définir un modèle économique. La mobilisation de l’intelligence d’un musée a toujours eu un prix, la vraie question est de savoir qui paye. L’accompagnement méthodologique aide justement à réfléchir ce point précis, d’où l’intervention d’économistes comme Jean Hervé Lorenzi dans la poursuite des missions de France-Muséums.

La valorisation de l’expertise culturelle française à l’international.

Agnès Saal, Mission Expertise culturelle internationale.

Le Ministère de la Culture a mis beaucoup de temps à s’emparer des enjeux de valorisation de la culture française sur les marchés internationaux. Jusqu’à il y a 2 ans, de telles initiatives reposaient sur l’élan de quelques administrations, plutôt que d’une volonté de la tutelle, alors même qu’elle a un rôle prépondérant à jouer dans la valorisation de notre expertise à l’étranger.

Depuis, le Ministère a donc décidé de créer une structure très légère, au sein de l’administration centrale, en lien avec tout le réseau des administrations, qui coordonne et rend cohérente l’action de valorisation de cette expertise, c’est la « mission sur l’expertise culturelle internationale ».

Les compétences promues dépassent la simple organisation d’expositions muséales et s’étendent aussi aux spectacles vivants, au cinéma, aux jeux vidéos, etc. Ces compétences se trouvent tant dans les administrations du Ministère qu’au sein des collectivités ou dans le secteur privé.

La mission s’attache à prospecter sur les marchés internationaux pour identifier des projets qui peuvent bénéficier d’une expertise culturelle dont dispose la France. Il nous faut être beaucoup plus offensif que nous ne l’avons été jusqu’alors : être attentifs aux attentes des voisins pour voir comment y répondre.

La mission expertise culturelle internationale sert aussi de point d’entrée aux partenaires internationaux (N-MBR : c’est le SPOC culturel français à l’international). Pourquoi obliger un partenaire international à devoir démarcher tout un tas d’institutions avant de trouver le bon partenaire ? Cette mission sert ainsi de point de contact unique et identifiable pour les gouvernements et bailleurs étrangers, ou encore l’Union Européenne.

La mission aura pour rôle de préciser la compréhension des besoins des partenaires internationaux (N-MBR : C’est un « Responsable Relation métiers », pour les métiers culturels étrangers). Une fois le besoin précisé, la mission jouera un rôle d’assemblage de la compétence culturelle française, pour constituer une équipe projet potentiellement composée de ressources d’institutions différentes.

Les projets menés par la « mission expertise culturelle internationale » s’appuient toujours sur un système de prestations rémunérées, et débutent systématiquement par une phase de coconstruction de la stratégie à établir pour répondre aux enjeux du partenaire.

Pour chaque projet, il faut garder en tête la dimension d’ancrage dans la durée : la mission porte toujours un objectif de transfert de connaissances et de compétences aux équipes qui devront maintenir ensuite l’espace culturel créé. Tout projet doit donc disposer de plans de formations structurés pour les interlocuteurs et les interlocutrices du pays d’accueil (N-MBR : gestion de la connaissance ITIL).

« Le commerce culturel n’est-il pas le plus beau des commerces ? »

Agnès Saal

N-MBR : Pas de mauvaise interprétation de cette phrase. Le commerce est une forme d’échange universel. Il a au moins ça d’inspirant pour toute culture qui se voudrait vivante.

Des outils de stratégie des entreprises utiles aux réflexions muséales.

Antonio Rodriguez, ICOM (International Council of Museums).

Le monde des entreprises se développe en créant, appliquant puis en actualisant des modèles d’organisation stratégiques qui peuvent être de puissants supports pour penser les objectifs long-termes des institutions culturelles.

(N-MBR : Ces modèles n’ont pas pour vocation d’uniformiser et de normaliser les fonctionnements mais d’offrir des cadres de réflexion qui permettront à celles et ceux qui les appliquent de se poser de « bonnes » questions. C’est comme le tarot : On ne vous dit pas votre avenir, mais on vous offre un moment pour vous poser des questions, et repenser votre rapport au monde).

Parmi ces outils, on trouve l’analyses PESTLE qui distingues six catégories de facteurs exogènes influant toujours sur la stratégie d’une organisation. Ces forces extérieures qui vont s’appliquer sur l’organisme seront d’ordre :

  • Politiques : Quelles sont les transformations du paysage politique actuel qui risquent d’impacter notre organisme ? Quelle est la stratégie internationale ou les accords à l’étude ?
  • Économiques : Comment évolue le marché sur lequel on se positionne ? Comment réagir à une réduction drastique des budgets des musées, à l’évolution des financements publics et privés ?
  • Sociales : Quelles sont les axes sociaux en friction que doivent adresser les musées ? Les changements démographiques à prévoir, l’émergence de nouvelles audiences ou les luttes sociales à soutenir en priorité ?
  • Technologiques : Quelles sont les vecteurs d’innovation ? Quelle valeur peut-on tirer des récentes évolutions technologiques ? Comment assurer sa visibilité sur les réseaux numériques ? Comment intégrer des pratiques de travail à distance ou favoriser l’interactivité que peut permettre la technologie ?
  • Environnementales : Quels changements environnementaux risquent d’avoir un impact fort sur notre activité ? Comment s’assure-t-on d’adresser ces enjeux et d’y répondre ?
  • Légales ou éthiques : Quelles évolutions légales sont à prévoir et quels impacts peuvent-elles avoir sur notre processus de création ? (N-MBR : RGPD, RGAA, e-Privacy, décrets marchés publics, changement de législation relative aux ayant-droits, etc.)

Ce type d’analyse permet de réaffirmer le rôle des musées en tant que :

  • Référents patrimoniaux qui préservent une histoire, nécessaire à construire notre culture (N-MBR : Comme le disait un post Instagram du musée des Invalides)
  • Foyers d’engagement civique qui jouent un rôle crucial dans le climat politique actuel.
  • Sanctuaires, « espaces sûrs » pour l’échange et l’expression des individualités dans l’optique de création d’une connaissance commune.
  • Médiateurs et agents diplomatiques qui doivent bâtir des ponts entre les cultures et les communautés, en favorisant la compréhension mutuelle via l’échange culturel.

La pandémie a renforcé l’importance de ces fonctions, notamment parce que la crise sanitaire pourrait bien précéder une crise sociale (N-MBR : plus forte que celle qu’on pouvait sentir poindre). Dans ce contexte, il faut donc se questionner sur les actions pratiques et réalistes que pourraient prendre les musées pour accompagner ces changements inévitables ? Que peuvent faire les acteurs culturels quand les institutions étatiques mettent du temps à changer ?

Les solutions à imaginer seront d’autant plus complexes que le contexte économique risque d’être défavorable aux institutions culturelles. Si avant la crise les musée contribuaient à hauteur de 50 Milliards à l’économie américaine, aujourd’hui, un tiers d’entre eux risque de fermer s’ils ne reçoivent pas des soutiens financiers.

Comment minimiser les impacts les plus forts, en tirant profit des progrès actuels ? La technologie par exemple, qui redéfinit les enjeux économiques, que peut-on garder de ses dynamiques  ? Comment créer un écosystème qui prend en considération ces facteurs de changement sociaux, économiques, environnementaux ?

C’est le moment de faire une introspection pour se réinventer, peut-être via de nouveaux types de partenariats.

Inspiration possible : Une pratique américaine favorisant le partage des bonnes pratiques est la réunion annuelle à Washington des acteurs culturels qui permet l’échange et la densification du réseau des institutions.

Enfin, la flexibilité doit être un enjeu central de l’ingénierie culturelle. Et cette flexibilité est nécessaire à saisir et prendre en compte les impacts de nos actes et de notre environnement.

L’expérience anglaise ou le mariage consenti du commerce et de la culture.

Anaïs Aguerre, Culture Connect.

En Angleterre, les enjeux commerciaux des lieux de culture ne choquent plus depuis longtemps. Sir Henry Cole, à la fin du 19ème siècle, a expliqué comment son musée était partie intégrante d’un écosystème économique, comment il contribuait au développement du design et de l’industrie anglaise, en affinant notamment le goût de son public qui devenait un consommateur exigeant. Les français et les allemands avaient d’ailleurs dès avant intégré le design à leur processus de production industrielle.

La première mission d’Anaïs Aguerre, au British Museum, fut d’imaginer de nouvelles sources de revenus qui ne soient ni des publications, ni le public, ni le mécénat, ni aucune des sources déjà existantes. Sa problématique fut donc d’étudier comment monétiser les atouts de l’institution ? Elle a donc d’abord pensé à des politiques de lègues différentes. Puis, misant sur des atouts forts du lieux, de ses objets et de son expertise de ces derniers, le musée a développé ses activités itinérantes. Le défi de ces projets est toujours de trouver l’équilibre complexe entre diplomatie culturelle et dégagement de ressources propres. Au V&A, Anaïs Aguerre a contribué à développer des séries de formations pour les professionnels des musées du monde entier (valorisation de marque, ingénierie culturelle, etc.).

Si tous ces projets devaient rapporter de l’argent, ce n’était jamais le moteur principal. Les questions de gestion de charge des ressources du V&A mobilisées et la gestion de la réputation furent des enjeux forts.

Ainsi, même si ces projet s’appuyaient sur des business model commerciaux, les enjeux culturels et sociaux restaient majeurs.

Ce furent des expériences motivantes et transformatrices pour les équipes. Car les projets culturels sont toujours des projets d’échange. Ils apportent une ouverture, un horizon et la découverte de nouveaux environnements ou de nouvelles pratiques.

Il faut évaluer de façon très honnête la place et le rôle du modèle commercial par rapport à la production de valeur ajoutée culturelle. L’économie doit être un moyen et un outil pour que le musée puisse réaliser son travail.

La création et la mesure de la valeur ajoutée culturelle de nos actions reposent toujours sur des représentations holistiques, qui seront en mesure de lier objectifs culturels, ressources de production et modèles économiques associés.

Conseil lecture : What money can’t buy, Michael J. Sandel

La professionnalisation de nos activités par l’ingénierie culturelle.

Michèle Antoine, Universcience.

L’ingénierie culturelle a accéléré la professionnalisation de nos musées. Les domaines qui étaient avant l’apanage du privé (la gestion de projet, de ressources, etc.) sont maintenant inscrits dans les parcours de formation de tous les futurs agents de nos institutions. Ceci marque la volonté des musées à capitaliser sur leur expérience pour partager des bonnes pratiques.

« La cité des enfants » est un format reproduit en dix exemplaires (Hong Kong, Gènes, Valence, etc.) par la Cité des sciences et de l’industrie. « Le produit » a été beaucoup copié. C’est flatteur, mais c’est une injonction à se renouveler tout le temps, pour rester un modèle d’innovation culturel.

Conseil : Présenter ce qu’on fait le mieux. Concentrer nos efforts sur ce à quoi nous sommes bons et se limiter à des secteurs dans lesquels on est reconnu.

Par exemple la Universcience valorise entre autres l’accessibilité et la programmation pour enfants.

Le regard extérieur que peut apporter une agence d’ingénierie culturelle sur notre propre activité, même dans nos domaines d’expertise, est extrêmement nourrissant et nous permet généralement de passer un cap.

Universcience suit des modèles méthodologiques canoniques, mais il n’y a pas d’équipes dédiées à l’ingénierie culturelle. Des personnes sont responsables de la prospection ou des différents aspects courants, mais c’est l’ensemble du collectif d’Universcience qui peut potentiellement intervenir sur les projets d’ingénierie culturelle, car c’est l’ensemble des ressources de l’institution qui possède l’expertise qui a fait la grandeur des projets menés.

Cette activité est interstitielle dans l’activité des collaborateurs. Il faut donc parfois faire preuve de diplomatie pour intégrer ces enjeux.

L’ingénierie culturelle n’est pas une source directe majeure de ressources propres. En 2019, le chiffre d’affaire de la mission d’ingénierie culturelle était de 3 millions d’euros, soit seulement 10,6 % des ressources propres (2 % des recettes de fonctionnement) qui restent aujourd’hui polarisées par la billetterie et la location d’espaces.

Ainsi, même dans une institution où la pratique de l’ingénierie culturelle est très poussée, son apport financier reste marginal. Ses motivations résident plus dans le développement de l’image ou le rayonnement de l’institution. Cette pratique permet de développer sa marque en dehors de ses murs, en dehors de ses frontières.

Par ailleurs, les mission transcendent généralement les collaborateurs et collaboratrices. Ils et elles en sortent transformé(e)s, que ce soit par le contact de l’autre ; la confrontation à de nouveaux métiers ; le changement de posture, ce « décentrement » (N-MBR : Les musées aux ressources propres avant essentiellement B-to-C développent une activité B-to-B sous la forme de l’ingénierie culturelle). On constate habituellement un changement du niveau d’exigences dans l’attitude vis-à-vis des prestataires.

Beaucoup de bénéfices non monétaires sont à retirer de cette activité.

Des enjeux muséaux globaux par application locale.

Laurence Chesneau-Dupin, LCD Conseil.

Les parcours des agents des institutions culturelles comptent de plus en plus d’échanges publics-privés. Un certains nombre de réalités de terrains restent valables quelle que soit l’échelle ou le secteur. Le lieu de culture ne peut être une entité autonome, et sa complexité tient à l’entretien d’un dialogue constant avec un environnement toujours très hétérogène. (N-MBR : « Penser globalement, agir localement », pour des musées militants !)

Le lieu de culture est un maillon du territoire parmi tout un tas d’autres offres, qu’elles relèvent du loisir, du sport, ou de tout autre secteur de la vie en société.

Cette vision est d’autant plus forte depuis que les musées sont passés dans des regroupements de communes. L’action locale a nécessité de repositionner les publics au centre de la réflexion des musées, mettant en avant les compétences nécessaires de la médiation. C’est ainsi qu’on s’est mis à parler de service, et à mieux penser l’accessibilité.

Hélas, les établissements sont souvent sous-dimensionnés pour faire face aux ambitions, et mener des projets de renouvellement, de création d’une offre adaptée aux enjeux actualisés. C’est toujours une action chronophage, qui demande des compétences techniques dont ne peut parfois disposer un musée. Pour qu’un projet fonctionne, il faut qu’il s’exécute dans un temps relativement réduit, pour ne pas qu’ils puissent être bousculé par des changements politiques par exemple (N-MBR : cf. PESTLE), et l’exploitation de certaines compétences ne peut pas attendre l’acquisition de ces dernières en interne (N-MBR : d’où le rôle des prestations d’ingénierie culturelle pensées sur le long-terme, et qui portent aussi un objectif de transfert de connaissances, comme évoqué par Agnès Saal. Ces prestations permettent l’acquisition d’une compétence au fil des projets, sur lesquels un acteur nous accompagne à la mise en pratique).

Le cœur du travail de l’ingénierie culturelle est de s’imprégner de la culture du client. En amenant des compétences croisées diversifiées, on peut développer justement des réponses innovantes et sur-mesures aux enjeux propres à chaque institution et à son environnement de proximité. Il faut l’accompagner à clarifier ses objectifs, à analyser son environnement, et jouer un rôle de révélateur par rapport aux équipements qui nous questionnent. C’est en coconstruisant la réalisation de leurs ambitions que ces espaces culturels s’épanouiront comme une singularité, affirmant leur légitimité comme élément complémentaire de l’offre existante sur leur territoire.

Au sein des collectivités, le support de l’ingénierie qui vient faire le lien entre les techniciens et les élus, permet de donner beaucoup de libertés à la parole, notamment sur les questions de gouvernance (N-MBR : sujets déterminants pour la diffusion des enjeux stratégiques à l’ensemble des acteurs de la création culturelle : partager des enjeux macroscopiques pour orienter les actes microscopiques, cf. un de mes précédents articles).

Conclusion

Si vous souhaitez écouter l’excellente conclusion de Christian Hottin, c’est ici.

De mon côté je vous propose seulement un extrait de l’œuvre de Michel de Certeau, « L’invention du quotidien : 1. Arts de faire » qui met assez bien en perspective ce que vous venez de lire :

l’art est un rapport à la science, un savoir en lui-même essentiel mais illisible sans elle. Position dangereuse pour la science puisqu’il lui reste seulement le pouvoir de dire le savoir qui lui manque. Aussi bien, entre la science et l’art, on envisage non une alternative mais la complémentarité et, si possible, l’articulation, c’est-à-dire, comme le pense Wolff en 1740 (après Swedenborg, ou avant Lavoisier, Désaudray, Auguste Comte, etc.), “un troisième homme qui réunirait en lui la science et l’art : il remédierait à l’infirmité des théoriciens, il délivrerait les amants des arts du préjugé selon quoi ceux-ci pourraient se parfaire dans la théorie…” Ce médiateur entre “l’homme à théorème” et “l’homme à expérience”, ce sera l’ingénieur.

Michel de Certeau, « L’invention du quotidien : 1. Arts de faire »

Si vous souhaitez que nous discutions de l’ingénierie culturelle sur le territoire virtuel du web, pour les raisons que j’évoquais dans mon précédent article, écrivez-moi (💌) !

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