Alors on pourrait me dire : “mais ça n’a rien à voir ! C’est comme les frites et le chocolat. On peut dire ce qu’on préfère, et encore ça dépend avec quoi on le mange. Peut-être même avec qui. Donc je vois pas trop l’intérêt de comparer un FPS en équipe et un jeu de sport.” On verra donc ce que ces deux jeux ont en commun, afin de pouvoir les opposer dans un référentiel partagé, celui, plus large, du jeu vidéo d’équipe.
L’expérience 2K(20)
Je ne suis pas un pro du basket. Je le suivais dans les années 90. A l’époque dont parle le dernier documentaire Netflix, The last dance. A l’époque, où Shaquille O’neal apparaissait dans des jeux vidéo de combats (Shaq Fu), et où le basket incarnait le sport américain, physique, technique et surtout divertissant. Depuis, je ne suis plus vraiment. J’entends les grands noms passer, Iverson, Kobe, Lebron, Curry, et j’ai encore un DVD AndOne dans mon placard. Mais, je n’avais plus touché un jeu de basket depuis la Megadrive avec NBA Jam (le jeu 2v2 où on pouvait incarner Bill et Hillary Clinton pour jouer contre les Bulls de Pippen) ou NBA Live 98.
C’est donc sans trop savoir dans quoi je m’embarquais que j’ai pris 2K20, sur la seule base que mon frère l’avait et que ça nous ferait un jeu en commun. Si, si, la famille.
Première saveur : pas très grosse saveur.
D’abord les menus : tout a changé. Le produit s’adresse à des habitués qui sauront s’y retrouver. Au début, je galère. Je lance des matchs au hasard avec les quelques équipes que je connais. Je suis déjà ravi qu’ils proposent les grands noms par époque, je retrouve mes petits. Mes géants. Après je capte un peu rien, j’ai l’impression que tout ne se passe pas comme prévu. Il y a une latence qui dépasse celle de mon cerveau. Mes personnages ont des réactions inattendues. Bref, pas le grand kif. Heureusement, le sang, mon frerot, va me guider un peu dans l’expérience. Il me fait créer un perso et commencer une carrière. Plus rien à voir avec mes jeux d’avant : on n’a pas à prendre en charge toute une équipe, pas à gérer tous les postes. Pour essayer de gagner un match, on n’incarne qu’un seul joueur, celui qu’on crée, et on suit sa carrière.
La carrière.
Je me fais un petit gars. Je veux un lascars de chez nous. Un gars qui traîne. Une sorte de Hamza sémite. C’est toujours le plus petit et fin du terrain, mais je veux qu’il ait du nerf. Mes bases de basket me disent que je dois être meneur. Je sais que c’est le poste des petits (Mugsy Bogues, pour ce qui aime les records) : ils se chargent d’organiser le jeu des autres. Ils montent les ballons et assurent les passes. Il peuvent shooter lorsqu’ils sont démarqués, mais leur gabarit rend la raquette (la zone sous le panier) dangereuse. Face aux pivots, généralement immenses, difficile de s’imposer physiquement. Sans vraiment y prêter attention, je viens de choisir une classe, le meneur de jeu ; et la définition du physiques de mon joueur prédéfinis ses arbres de talents possibles. Un petit aux bras courts ne pourra pas bien contrer, ni prendre de rebonds. Il pourra par contre dribbler et moins risquer d’être intercepté. Et c’est quand on commence le REC, le PVP 5-5, les parties où chaque joueur d’une équipe est un joueur réel derrière un avatar, qu’on saisit la méta des parties. Chaque équipe (le 5 majeur, les gars sur le terrain) dispose d’un pivot, d’un meneur, d’un arrière, d’un ailier fort et d’un ailier. Les ailiers et arrières pouvant parfois prendre des rôles de meneurs, et les ailiers forts pouvant parfois être pivot (comme les supports/DPS ou les DPS/offtanks – c’est plus varié que ça, il peut y avoir des tanks/supports, etc.). Le poste définit le style de jeu à adopter : les ailiers forts et le pivot doivent occuper la raquette. En défense, pour gêner ne serait-ce que par leur taille. En attaque, au moins pour essayer de récupérer les rebonds des tirs ratés. Et c’est en jouant avec des rookies, les n00bz du basket, qu’on se rend compte de l’importance de simplement jouer son rôle : si le pivot commence à mener, il va manquer d’agilité pour dribbler et risque de perdre la balle. Si le meneur – non slasher – veut dunker, il risque de se faire contrer systématiquement par la défense. Etc. Chaque poste induit des fonctions particulières, et si les joueurs ne jouent pas leur rôle, la défaite est quasi inévitable. En gros, les pivots sont les tanks, ils sont massifs et moins mobiles. Les meneurs et les classes d’organisateurs sont les supports, ils sont surtout là pour servir les autres. Et, chaque match est donc un affrontement d’équipes suivant peu ou prou une même meta incarnée par le cinq majeur. La map est toujours la même, aux couleurs près. La diversité du jeu repose entièrement sur les joueurs eux-mêmes, leur avatars, comme leurs réelles tactiques de jeu. Finalement, Overwatch reprend les mécaniques du jeu d’équipe : on définit une méta dont les rôles sont censés faciliter l’atteinte de l’objectif porté par une structure de règles. Chaque rôle est incarné par un joueur et deux équipes s’opposent dans la poursuite d’un objectif commun : marquer le plus de point. C’est dans ces modes “carrières” des jeux de sports en équipe qu’on pourra alors retrouver la dynamique qui, match après match, rappelle l’inspiration qui donna naissance à Overwatch, League of Legends et tous les autres : une structure de règles définit le jeu, les équipes mettent en place des tactiques sous forme de systèmes pour avoir l’avantage, selon les règles, dans des situations qui les opposent à une équipe adverse.
Overwatch Vs. NBA2K20
Graphisme.
Graphiquement, il y a deux styles. On aime ou on n’aime pas. Je veux bien qu’on confronte deux mécaniques communes, mais je refuse que l’on ordonne l’esthétique. Disons que l’un des deux dispose d’un système de règles complexes issu d’une tradition quasi séculaire, tandis que l’autre compense la simplicité de son cadre formel par un environnement changeant ou une physique altérée. L’un s’inspire de la dense structure de la réalité quand l’autre tente de s’en échapper par des pouvoirs fantasques. Pourquoi pas ? Ça dépend si on aime les cartoons ou le réalisme.
Mais comparons alors la profondeur du gameplay.
Profondeur du gameplay.
Variété des maps et des personnages.
Ne vous laissez pas berner, NBA 2K n’a qu’une seule map. Une et demi pour être précis. La profondeur du jeu se trouve dans les combinaison de joueurs réels. Chaque joueur dispose d’un avatar a priori unique (sauf ceux qui pompent ce qu’un site web leur a dit de faire), assigné à un rôle préférentiel, pour lequel il a les compétences qu’il est jusqu’ici parvenu à développer. En choisissant son rôle et son physique, on limite les point de compétence possible par catégorie (finish dans la raquette ; shoot ; organisation ; défense). En définissant des seuils de compétences maximums, on établit un maximum de « badges » dans la branche. Les badges sont des améliorations propres à un style de jeu (mieux dribbler, mieux shooter à l’arrêt ou en sortie de dribble, mieux dunker au contact, etc.). En créant son archétype, on restreint une palette de template possibles en endgame.
Ainsi, le personnage “ma carrière” se monte comme on « pexerait » un personnage World of Warcraft : on fait de l’XP en jouant ; l’XP nous permet de débloquer de nouveaux pouvoirs, de nouvelles améliorations de nos aptitudes.
Si les équipes suivent une même méta, la variété des personnages ne se limite donc pas à une dizaine de héros par classe, mais à une quasi-infinité. Leur nombre dépend de la créativité des joueurs 2K avec comme outil, le système de création MyPlayer. On peut même imaginer des hybridations pour rompre les méta et surprendre l’adversaire, comme les pivots shooter (K. Porzingis) ou les meneurs dunker (R. Wesbrook).
En gros, on est toujours sur la même map, mais la pluralité des personnages crée toujours des situations différentes.
Richesse tactique.
Overwatch a été publié en Mai 2016. Il a rapidement disposé d’un mode classé, plus compétitif, qui nécessite de s’organiser pour sécuriser des victoires. C’est dans ce mode qu’on mettra peut-être son micro pour tenter de communiquer avec l’équipe pour se coordonner. On a rapidement vu des techniques se développer, des compositions et de nouvelles meta émerger.
La basketball est né en 1891. Depuis, des centaines, des milliers de publications et techniques sont développées pour théoriser les méthodes et tactiques qui permettent de remporter un match. Elles dépendent des joueurs qui composent l’équipe comme de ceux qui l’affrontent. D’ailleurs, le basket voit régulièrement ses règles mises à jour que ce soit pour dynamiser le jeu ou nerfer certains mouvements de joueurs. Les coachs de chaque équipes proposent des listes de tactiques qu’on pourra mélanger pour disposer d’un style personnalisé.
En bref, l’ancienneté du sport offre à la simulation de sport une plus grande richesses de tactiques formalisées à appliquer par les joueurs qui font l’équipe, sans que ces tactiques ne brident nécessairement la liberté d’agir du joueur (e.g l’attaque en triangle).
Fluidité du jeu.
NBA 2K est nécessairement bien plus lent qu’Overwatch en apparence. La rapidité d’une action dépend de la maîtrise du « momentum ». Chaque joueur a sa rapidité, et la gestion rythmée de cette dernière permet d’orchestrer l’action. Ça ne sert à rien d’appuyer trop vite sur les touches, ça pourrait même nous desservir. C’est peut-être sur ce point que les deux jeux divergent le plus. NBA 2K fonctionne avec une mécanique similaire à celle du combo des jeux de combats : il faut effectuer les séquences de touches à un rythme adapté au physique, et aux compétences, de l’avatar, combiné à la physique de son environnement, i.e le jeu lui-même.
Les férus d’instantanéité ne pourront que préférer Overwatch.
L’esprit de camaraderie.
Un autre avantage de NBA2K est qu’on voit tous les autres joueurs de l’équipe jouer. On peut assister à chaque action sur tout le terrain. Pas besoin d’hurler “T’as vu ce que j’viens d’faire!?” (puisque les FPS ne propose plus de splitscreen valable). Dans NBA2K, ton poto a sûrement vu ton action et il est en train de te congratuler.
En gros, si je devais organiser un séminaire de teambuilding à base de gaming, je m’orienterais plutôt sur un jeu d’équipe où l’on peut voir l’autre jouer pour l’encourager. C’est le panoptique du renforcement positif ! En même temps faudrait être con pour choisir un FPS dans le cadre d’un séminaire de teambuilding. Sauf peut-être si c’est pour désamorcer le dialogue social par l’expression des colères…
Les autres plus…
Je vois au moins deux autres avantages, dorénavant, aux jeux de sport. D’abord, ça m’a redonné envie d’en faire. Les simulations profitent du caractère reproductible de la modélisation qui leur a donné naissance : on peut refaire ce qu’on voit dans le jeu (faut quand même être en bonne forme). Je refais du basket et je me suis même abonné au NBA league pass qui permet de regarder tous les matchs de la NBA, pour voir des professionnels jouer. C’est le Twitch 2K21 IRL. De plus, si on veut évoluer en équipe, il va falloir apprendre des schémas, des tactiques. Les mêmes qui organisent globalement le jeu, en match. J’ai compris le rôle de la défense intérieure, celui de la défense extérieure. Cette compréhension va probablement m’impliquer plus si je regarde un match de NBA, et je pourrais sûrement entretenir des small talk avec des gens qui suivent le ballon, des qui tâtent du cuir, au moins à la téloche.
Conclusion.
Si j’étais parent, si je n’abandonnais pas chaque fois ma descendance au latex, je laisserais mon petit chérubin gamer, parce que je suis conscient des merveilles que ça a pu m’offrir en tant que citadin. Mais si je devais choisir entre une oeuvre de fantaisie loufoque aux mécaniques inspirées de la réalité, et une simulation brute, je partirais sur la seconde. Ainsi donc, ne laissez pas vos enfants se faire aspirer par Fortnite, même si ça peut les encourager à danser, offrez-leur plutôt un appartement à Los Santos et enseignez leur comment ne pas céder à l’appel des prostituées de Verona Beach ; ou pourquoi il ne faut pas attaquer un inconnu, car ce dernier risque de se venger avec une démesure imprévue.
La simulation offre un savoir pratique. Plus on est proche de la réalité, plus l’apprentissage est pragmatique, plus il est direct. La fantaisie peut enseigner les mêmes choses, mais l’effort intellectuel pour établir un parallèle entre la fiction et la réalité est plus grand. Il se fait dans l’inconscient, et peut être parsemé d’embûches et de contresens. La fiction doit donc être pensée dans la conscience du message qu’elle peut porter.
A choisir, dorénavant, je ferais principalement du basket sur console. Parce que c’est un sport de non-contact. Parce que « pour pénétrer, il faut créer de l’espace ». Et cette philosophie me plaît bien. Mais c’est aussi parce que je n’aurai plus le temps de jouer à d’autres jeux : je dois Power XP un personnage de chaque classe/à chaque poste, et apprendre à les jouer pour avoir une meilleure compréhension du terrain…