Internet est un réseau de réseaux utilisé pour échanger des paquets d’information entre les nœuds qui le composent. Ces nœuds sont autonomes et permettent aux utilisateurs qui sont derrière de partager des idées, des documents, des fichiers, etc. bref, de l’information.
L’objet du réseau mondial est de permettre un accès partagé à cette information. Le web est un service du réseau internet, une surcouche logique et conceptuelle, qui intègre l’ensemble des systèmes qui permettent de naviguer de pages en pages et de nœud en nœud. Le web permet donc de naviguer sur des pages, qui peuvent être hébergées sur des machines différentes d’internet. Sans même que vous vous en rendiez compte, vos données vont passer d’une machine en Europe à une machine aux États-Unis, si après la lecture mon article, vous vous rendez sur Google ou Twitter.
Tim Berners-Lee et Robert Cailliau, les créateurs du World Wide Web, ont décidé d’en faire un bien commun international au lieu d’essayer de le commercialiser. C’est notamment pour ça, que le Web est un lieu privilégié pour les utopies d’accès universel à la connaissance, telles celle d’Aaron Swartz, le mouvement du logiciel libre ou encore les licences Creative Commons. C’est intégré à l’ADN du Web, qui vise un partage universel de l’information par l’appropriation progressive du cyberespace par les individus.
Le Web est à tous, et nous détenons collectivement le pouvoir de le changer.
Sir Timothy John Berners-Lee
C’est donc censé être un espace d’expression et d’action pour qui veut bien s’y exprimer et agir.
La particularité d’Internet comme commun, c’est qu’il n’a pas de gouvernance formalisée. Et c’est assez logique puisqu’en tant que réseau mondial, il lui faudrait une gouvernance qui le soit aussi. Et c’est dans cette absence de gouvernance qu’il peut servir toutes les utopies ou les dystopies : c’est l’anarchie. Pas au sens d’une organisation chaotique qui favoriserait la destruction du monde (puisque son organisation repose sur des normes de communication et des régulations nationales), mais au sens d’une organisation permettant à chaque « appareil somato-politique », tel que nous qualifie Paul B. Preciado, d’y exprimer sa voix sans gouvernement qui y ferait autorité.
Je parle de lutte somato-politique pour nommer cette nouvelle révolte des corps vivants : ils ne veulent plus que leur puissance de vie soit exploitée par le dispositif nécropolitique capitalisto-patriarcal. A la place, le nouveau sujet politique n’est plus un homme viril doté de raison, mais un corps vivant, vulnérable face à la maladie, au vieillissement, à la destruction écologique.
Paul B. Preciado
L’individu serait donc un être qui somatise le monde et qui se polariserait ainsi politiquement. En tant qu’appareil somato-politique, on peut tous·tes exprimer notre polarisation librement sur Internet, à condition de savoir le faire.
Problème.
Une histoire de l’expression individuelle et interpersonnelle sur le web.
Le réseau grand public naît en 1980. Toute l’architecture de l’information qu’il rend accessible répond aux lois d’une science qu’on appelle l’Informatique : le calcul et l’algorithmie sont à l’informatique ce que les mathématiques sont à la physique.
Les années 90 voient l’apparition de l’informatique « interpersonnelle » telle que décrite par Steve Jobs : les postes de travail individuels se démocratisent et s’interconnectent. Cependant, l’accès au réseau mondial nécessite un routeur, et les fournisseurs d’accès à Internet de l’époque proposent en France une tarification forfaitaire basée sur les volumes de données échangés entre le PC (ou le MAC) et le réseau.
Dans beaucoup de familles, les parents ont le droit d’aller sur Internet, mais pas les enfants. Ça risquerait de coûter cher et on ne sait pas trop ce qu’ils pourraient trouver sur un réseau non régulé. Personnellement, je découvre les premiers émois de la communication avec des inconnu.e.s en allant sur caramail (site de tchat, « portail web communautaire ») depuis la bibliothèque du collège. J’essaie de faire quelques recherches quand je suis face à Lycos ou Yahoo (les moteurs de recherche de l’époque), mais je suis souvent à cours d’idées quand la page me demande ce que j’attends : un peu tout, peut-être rien. Mes premières recherches sont sur les nains de jardins et la combustion spontanée. Les deux sujets étaient jusqu’alors des mystères.
Dans les années 2000, on commence à avoir un forfait ADSL. Nous ne sommes plus vraiment limité·es en volume de données mais surtout en vitesse d’échange de ces dernières, « le débit ». On tchat non-stop sur MSN comme si la sonnerie de fin de journée du lycée n’avait jamais retenti. On télécharge sur LimeWire ou eMule aussi biens des documentaires que des films porno. Quelle libération ! Dire qu’avant il fallait connaître quelqu’un qui avait un abonnement « Canal + » pour avoir accès à une VHS faussement étiquetée.
On commence à disposer d’espaces web à soi : les blogs. Je fais mon premier sur le site de la radio SkyRock (les fameux Skyblogs) où je poste des photos de soirées avec des légendes qui ne font rire que moi. Je me crée mes premiers alter ego : mes avatars.
En 2005, je découvre mon premier réseau social mondial, MySpace. Il met à disposition de ses membres un espace web, un blog. Il a toute une structure préconfigurée qui permet de poster des articles composés de textes et de média. Tom est notre premier ami imposé. On s’abonne à d’autres membres, et ils peuvent s’abonner à nous en retour. Ils se tiennent informés de nos posts et nous tiennent informés des leurs. Un MySpace est configurable moyennant une petite expérience en code HTML. Ses possibilités de customisation en font un sanctuaire de la création pour les indépendants. L’apparente diversité de ces cyber-espaces rendent tout de même le principe difficile d’appréhension pour le tout-venant. Les blogs ne se ressemblent pas et il était fort possible que le site laisse coi.
En 2006, en Floride, des gens me diront : « MySpace is over. Now, it’s FaceBook ! » (« MySpace c’est fini. Maintenant, c’est FaceBook »). Sur le moment je n’ai pas trop réfléchi et j’ai suivi. Après tout, si j’étais sur un réseau social c’était pour avoir des rapports sociaux, et si tout le monde allait sur FaceBook, c’était sûrement le meilleur endroit pour parler à des gens.
FaceBook a démocratisé le réseau social simplement parce qu’il l’a rendu plus accessible. Il l’a standardisé : tous les comptes ont une même page de présentation, un même menu ; tous les postes suivent un format prédéfini et tous les profils s’affichent de la même manière. La structure est figée, les contenus changent.
Et puis, ces dernières années, d’autres réseaux sociaux se sont créés : Twitter, Instagram ou Medium. Ils répondent chacun à un besoin de changer de structure. Pour le premier, on veut réduire un maximum la taille des messages pour encourager le choc. Pour le second, c’est l’image qui est à l’honneur, et certains diront même l’ego. Enfin, le troisième s’adresse plutôt à ceux qui aiment écrire de longs articles. C’est toujours un peu le même fonctionnement : on se crée un compte sur la plateforme ; on s’abonne à certain·es ; certain·es s’abonnent à nous ; puis on réagit aux posts des uns et des autres selon ce que nous permet de faire le site.
FaceBook a donc permis de répondre à l’envie de tous·tes de prendre part à la communication mondiale en mettant à disposition un espace web partagé, encadré par un formalisme prédéfini qui permit au plus grand nombre de l’appréhender sans trop de difficultés.
Les dérives d’un modèle.
Le problème c’est qu’en tant qu’organisme privé, en tant qu’entreprise positionnée sur un marché économique, FaceBook se doit d’être bénéficiaire pour réinvestir et participer à la croissance. Son service, en apparence gratuit, repose sur la monétisation, d’une part des données collectées, d’autre part du temps d’attention de ses utilisateurs et utilisatrices. Les données collectées seront utilisées pour proposer des ciblages efficaces aux annonceurs, de manières à ce que leurs pubs puissent être adressées à des personnes potentiellement intéressées. C’est un modèle gagnant-gagnant pour FaceBook (Meta) et les entreprises qui achètent ses espaces d’annonces. Les utilisateurs passent plus de temps sur la plateforme à regarder de la publicité, et les annonceurs ont un meilleur retour sur investissement que s’ils avaient diffusé un même message à tout le monde. Mais la croissance financière de FaceBook repose alors essentiellement sur une société consuméristes. Il faut que la masse clique et qu’elle achète. Toujours plus. Sinon pas de croissance.
La démocratisation du web qu’ont offert les géants d’Internet a certes pu supporter l’émergence de mouvements progressistes à travers le monde (e.g les printemps arabes), mais elle a aussi induit la manipulation d’organes de pouvoir à des fins financières (e.g Cambridge Analytica).
En cédant au groupe ses données, le citoyen s’est placé dans un rapport dominé/dominant avec FaceBook (Meta). L’entreprise détient le savoir, donc le pouvoir, sur ses utilisateurs : le pouvoir d’orienter potentiellement leurs idées comme celui de les mener à un acte d’achat.
Le succès phénoménale des plateformes qui sont parvenues à rendre le web accessible tend maintenant à tromper l’internaute en lui faisant croire que celles-ci sont inévitables, qu’elles « sont » le web. Mais ce serait alors un échec de l’intention de la Toile, de ce commun nécessaire au partage de la connaissance sans biais corporatiste, que de céder aux privés toutes les informations que nous produisons pour qu’ils puissent les vendre pour leur compte.
Comment se réapproprier Internet ?
Il y a autant de manières de le faire que d’individus.
On peut décider de choisir ses applications en fonction des valeurs qu’elles défendent. L’idée commence à prendre forme, en démontre les migrations massives vers Signal et Telegram à l’annonce d’une modification de la politique de confidentialité du concurrent WhatsApp (> choisissez plutôt Signal). Le peuple commence à saisir l’importance de protéger ses données personnelles qui sont un attribut de sa personne physique (Rgpd).
On peut aussi essayer de s’extirper de l’emprise de Google, par exemple, en éclatant tous les services qu’on utilise chez eux : utiliser Qwant pour moteur de recherche, Firefox comme navigateur, prendre pCloud comme drive ou encore Proton mail comme boîte mail. Ce ne sont que des exemples, évidemment. Et même en faisant tout ça, on aurait encore un téléphone Android avec Google Maps. Mais, on commencerait doucement à casser un monopole. Cependant, je suis en train de faire l’expérience, pour voir, et c’est coûteux.
L’approche peut-être la plus simple, à mes yeux, c’est de commencer par s’octroyer un espace à soi sur le Web, sachant que tout espace à soi est un espace d’expression individuelle mais un espace de consultation public. Vous pourrez y publier ce que vous voulez, des messages courts, des longs, des dessins ou des photos, recevoir des commentaires, etc. Tout ceci, pratiquement sans effort. Vous pourrez aussi choisir la couleur ou les menus, essayer ou non de faire en sorte que sa forme corresponde au fond que vous souhaitez lui donner. Vous pourriez même mettre en place des rapports d’échanges avec les sites de vos amis grâce aux formats standards du web (les « protocoles », comme les flux RSS !), pour entretenir le lien social. Grâce aux flux RSS, vos amis pourraient s’abonner à vous et vous pourriez vous abonner à eux, rétablissant les notions de « mur » et de « post ».
Les progrès qu’ont permis le développement du web d’aujourd’hui rendent maintenant particulièrement simple la création d’un site, type blog. C’est l’affaire de quelques clics et de 50€/an. Je vous proposerai, à la fin de mon article, de suivre une petite formation : cinq séances d’une heure qui vous permettront de disposer de ce type de site et de mettre en place les rapports d’échanges d’un réseau social via des flux RSS avec d’autres sites.
Si vous avez quitté les réseaux sociaux mais que vous avez l’impression que quelque chose vous manque ; si vous y êtes encore mais que quelque chose vous chiffonne : est-ce le sentiment d’être résumé à un avatar que vous ne maîtrisez pas vraiment ? Est-ce la répétition des posts que vous avez déjà lus sur votre mur ? Est-ce la surabondance de liens sponsorisés ou le déferlement de haine qui inonde parfois la plateforme ? Bref, si vous avez un besoin de pouvoir vous exprimer sur la toile, et de suivre ce qui s’y passe, essayez de vous faire un site web et parlez-en autour de vous. Devenez cette personne relou qui envoie des liens vers son site et proposez à vos proches de s’en faire un.
Suivez ma petite formation quand vous avez un peu de temps. Elle est faite pour être lue sur un temps étendu, parce que se créer son espace à soi, ça prend du temps. Ça nécessite qu’on y revienne et qu’on ajuste.
Dans ces pages, vous apprendrez comment disposer d’un hébergement web et d’un nom de domaine associé : une maison et son adresse, en gros. Vous apprendrez aussi à définir les flux RSS que vous souhaitez suivre, ce qui vous permettra d’avoir votre mur d’actualités. Et je vous expliquerai comment publier votre propre flux pour que celles et ceux qui sont intéressé·es par vos créations puissent les suivre.
Les réseaux sociaux ont ajouté une surcouche sur le Web qui avait déjà pour vocation d’être « le » réseau social. Cette surcouche était nécessaire pour rendre la toile plus abordable au non-technicien. Aujourd’hui, cependant, la technologie permet le déploiement d’un espace à soi en quelques clics, sans avoir à céder toutes ses données à un géant privé, sans avoir à se soumettre à sa structure ou à ses conditions d’utilisations. Décolonisons Internet ! Le cyber-espace a été conquis par des groupes privés venus promouvoir leur vision du progrès et exploiter les ressources dont regorge le web. Vous m’excuserez donc le triste rappel à l’histoire – je sais que la gravité des conséquences est incomparable -, mais dans un cas comme dans l’autre, la société de la modernité tardive occidentale impose son modèle, réduisant la diversité et soumettant les espoirs ou les perspectives d’alternatives.
Il est nécessaire de se réapproprier ce territoire et de promouvoir son indépendance, car votre liberté d’expression et même votre libre arbitre en dépendent.
Essayez-vous au cyber-militantisme, c’est un mouvement qui ne nécessite pas de bouger de son canapé…
Conclusion
On peut arguer que j’encourage à l’usage d’anciennes technologies et que je prône la régression (les blogs et les flux RSS Vs. FaceBook ou Instagram). Mais le modèle proposé exploite les progrès permis par les évolutions actuelles. Il reposent sur le Cloud qui est une pratique de mise en commun de ressources physiques pour optimiser l’architecture des informations. Il repose sur le développement de l’Infrastructure as a code qui permet de déployer ces ressources aussi facilement. Il repose aussi sur les CMS qui facilitent et rendent toujours plus accessible la mise en forme et l’alimentation d’un site. Il repose donc sur le progrès, il remet seulement en question l’exploitation monopolistique des géants privés qui sont aujourd’hui en mesure d’incarner la gouvernance d’Internet, puisque c’est eux qui décident de ce que vous voyez. Et c’est ça qui est problématique. L’idée est de revenir aux valeurs qui ont permis l’essor du Web en profitant de certaines des avancées technologiques qui furent permises par « l’explosion de la bulle ».
La période est aujourd’hui propice aux remises en question. On rêve de réduire notre impact écologique en revenant à des méthodes d’agriculture plus traditionnelles, on étudie les perspectives d’un exode urbain pour retrouver la simplicité des vies d’avant, etc. L’enjeu est de se poser ces mêmes questions pour le cyber-espace, de se demander si un retour à des pratiques plus traditionnelles du web ne serait pas plus bénéfique à la société, puisqu’elles permettraient la réappropriation de ce qui devait être un commun.
Maintenant, si vous pensez avoir des choses à dire, ne vous faites pas un compte sur un réseau social qui va standardiser pour manipuler votre expression. Faites-vous un site web avec un flux RSS (un « blog »). Et si vous souhaitez faire savoir à Internet quels flux RSS vous intéressent, écrivez le. Incitez vos amis et vos proches à faire pareil, et vous aurez recréé votre feed FaceBook, à part que vous aurez pu choisir la couleur, la mise en page, les posts que vous souhaitez mettre en avant, etc. Mais, attention, ce que vous déposez sur Internet est public et sera archivé pour tisser l’histoire de la Toile (La BNF archive le web! et « l’Internet archive » aussi).
Je me répète, mais la différence fondamentale entre un site qu’on publie et un compte FaceBook qu’on crée, au-delà de la marge de manœuvre sur la forme qui peut alors devenir complémentaire du fond, c’est qu’on est conscient d’être exposé. Privilégiez donc les pseudonymes ou les noms d’emprunt, ce site pourrait être l’incarnation de ce que vous désirez être sur Internet.